A l’ombre d’un mamelon boisé dort le manoir des La Vaulx-Renard. De là, la vue s’étend sur la vallée de l’Amblève qui s’allonge dans u cadre de montagnes prestigieuses. Cette demeure champêtre, t-retirée du monde et entourée de bois profonds, fait immédiatement songer à la retraite de quelque seigneur débonnaire, fervent du culte de saint-Hubert. Pourtant le sire de La Vaulx-Renard a laissé une réputation de gentilhomme hautain et sanguinaire, et le souvenir de ses crimes ne s’est pas encire effacé de la mémoire populaire.
La vie d’un rustre ne comptait point, pour ce seigneur digne de vivre au temps obscure de al barbarie. Ses volontés avaient force de loi et il punissait sur le champ l’audacieux qui osait discuter son moindre caprice. Témoin le passeur d’eau qui paya de sa vie la présentation d’une simple requête. Près du château, il y avait un passage d’eau. On concédait au passeur pour tout paiement de ses peines l’usage d’une chaumière et de deux journaux de terre. Le bonhomme avait une femme et cinq enfants à nourrir ; aussi le revenu de ce modeste héritage, bien qu’il le fit valoir de son mieux, suffisait à peine à l’entretien de la maisonnée. La ménagère harcelait son mari, afin qu’il demandât une aide à son seigneur et maître. Mais le terrien, connaissant le caractère violant de châtelain, atermoyait sans cesse. Et pendant ce temps, la misère s’installait au foyer du laborieux tâcheron.
Un beau jour, le maître des lieux héla le passeur au retour de la chasse. L’expédition avait été fructueuse. Un forestier portait un carnier rebondissant d’où dépassaient des pattes de lièvres et auquel pendaient des perdrix au plumage tavelé. Le seigneur paraissait de bonne humeur. Le passeur jugea le moment opportun de lui exposer sa requête.
Quand le chasseur eut pris place dans le bateau et que celui-ci se fut écarté du rivage, le passeur hasarda :
Monseigneur, vous savez combien je vous suis dévoué. Nuit et jour, je me tiens à vos ordres pour le passage de la rivière et pourtant je suis bien mal rétribué, car mes gages ne me permettent pas de subvenir aux besoins de ma famille. J’ose espérer votre Seigneurie…
L’été avait été sec et es eaux étaient très basses. Pendant qu’il parlait le passeur oublia de tirer au câble et la barque s’arrêta au milieu de l’onde.
Cette canaille n’est jamais contente, rugit le gentilhomme dont le visage s’empourpra de colère ; allons, fainéant, passez-moi l’eau, j vous paierai ensuite.
Le villageois reprit timidement, en voyant qu’il avait fait une fausse route :
Que Monseigneur m’excuse, si…
Suffit, quémandeur du diable, votre audace aura la récompense qu’elle mérite.
La barque était à peine amarrée que le seigneur, dédaignant l’aide de ses gens, sauta sur la berge. Il examina les amorces de son arquebuse, puis visa froidement le passeur qui fixait au poteau les chaînes de la barque. Un coup de feu ébranla les échos et le malheureux s’affala ensanglanté, frappé à mort.
Mais le sire de La Vaulx-Renard n’agissait pas seulement de la sorte vis-à-vis des manants de son fief ; il ne se gênait pas pour rapiner sur les terres des châtelains voisins.
Aimant à festoyer, à sabler le vin comme un templier, le maître de La Vaulx-Renard s’était endetté. Le seigneur de Froidcourt, désirant ne point provoquer le ressentiment de cet homme irascible et fantasque, lui avait consenti un prêt. La date d’échéance arriva et l’emprunteur ne s’en soucia point. A plusieurs reprises monsieur de Froidcourt lui rappela sa créance et, chaque fois, le sire de La Vaulx-Renard promit d’acquitter sa dette à bref délai. Mais bien que sa situation donnât à réfléchir, monsieur de Froidcourt finit par se lasser. Il pria un habitant de Stoumont, connu pour son caractère ferme et décidé, de se rendre à La Vaulx-Renard, de réclamer la somme et de ne revenir qu’avec de beaux écus sonnants et trébuchants. Pour toute réponse, le hobereau se borna à faire jeter le messager dans une oubliette dont il ne sortit plus.
Toutes ces exactions, tous ces vols, tous ces crime que le sire de La Vaulx-renard commettait impunément, finirent par excéder la contrée. Seigneurs et manants portèrent leurs doléances devant leur suzerain, le prince-abbé de Stavelot. Les hommes d’armes du souverain cernèrent le manoir de la Vaulx-Renard et en arrêtèrent le propriétaire. Il fut jeté dans un cachot et on lui fis son procès. Quand on le vit solidement enchaîné à la barre des accusés, les habitants qui avaient dû subir en silence le joug de sa tyrannie dévoilèrent les faits dont ils avaient été les victimes. Les charges étaient accablantes et le sire de La Vaulx-Renard fut condamné à mort. La date de l’exécution était fixée lorsque le prince-abbé de Stavelot trépassa. Pendant les vacances du siège, le Prince-Evêque de Liège gouverna le domaine du défunt. Le sire de La Vaulx-Renard supplia le prélat de lui accorder sa grâce. Celui-ci y consentit, à la condition formelle que le prisonnier allât combattre les Turcs. Autant le criminel avait été arrogant dans sa puissance, autant il se montra lâche lorsqu’il eut obtenu la vie sauve. Après avoir juré de se soumettre au verdict, il ne se soucia nullement de se faire occire par les Infidèles. Il se réfugia à Aywaille, qui alors dépendait du duché de Luxembourg. Dans cette enclave, à l’abri de la justice, il termina ses jours en narguant ceux qui l’avaient condamné, ainsi que celui dont il trahit la générosité.